Cyril Durr, relecteur-correcteur BD

Publié le 19 mars 2019
Cyril Durr Cyril Durr a répondu à notre questionnaire de Proust.

Il est relecteur-correcteur BD chez MAKMA : Cyril Durr nous parle d’un métier dans lequel il se doit d’être aussi sérieux que méticuleux vis-à-vis de la langue française.

Cyril, peux-tu nous dire, pour commencer, comment tu as débuté ton activité de relecteur-correcteur BD ?

Cyril Durr : Eh bien, c’était il y a presque huit ans déjà, lorsque Dargaud a repris les droits DC Comics en France, et créé le label Urban Comics. François Hercouët, le directeur éditorial, m’a contacté suite à divers articles que j’avais écrits (sur les tares de certaines traductions) pour me proposer de travailler sur les adaptations françaises de ce nouveau label. J’ai bien entendu immédiatement accepté.
Par la suite, j’ai eu l’occasion de travailler sur des ouvrages divers, de l’encyclopédie au roman, en passant par des livres plus techniques, destinés à des professionnels. Mais ma spécialité reste les univers foisonnants de la bande dessinée américaine.

En tant que relecteur-correcteur BD, tu as travaillé depuis sur l’adaptation de nombreuses séries, je crois ?

Cyril Durr : Oui, j’ai notamment rejoint le studio MAKMA, d’Edmond Tourriol et Stephan Boschat, en 2017. Cela m’a permis de travailler sur de nombreux titres Marvel. J’ai dû faire le tour de tous les comics mainstream maintenant, que ce soit Spider-Man, Captain America, Thor, les X-Men, Fantastic Four, Avengers, Conan, Batman, Superman, Wonder Woman, Green Lantern, la Justice League, les Tortues Ninja… ainsi que des titres moins connus du grand public, mais de grande qualité, comme Sandman, Top 10, Fables, Y the last man, Transmetropolitan, 100 Bullets

Y a-t-il des titres qui t’ont plus marqué que d’autres, par leur complexité ou leur importance pour toi ?

Cyril Durr : Bosser sur Amazing Spider-Man a été vraiment quelque chose d’émouvant, même si ça peut paraître stupide. Je suis les aventures du Tisseur depuis que je suis gamin, ma grand-mère m’achetait à l’époque des albums Lug grand format au marché (il existait encore des bouquinistes ambulants). J’avais à peine six ans. Travailler sur cette série historique, 40 ans plus tard, ça fait quelque chose.

Relecteur-correcteur BD : des comics aux encyclopédies SF

J’aime beaucoup aussi certaines séries Marvel secondaires, comme les Runaways, Ms. Marvel, New Warriors ou les Thunderbolts.
En ce qui concerne la complexité, je suis assez fier d’avoir bossé il y a quelques années sur une encyclopédie dédiée à la science-fiction. Un énorme (et très bel) ouvrage qui contenait, en VO, quelques erreurs dans la description de certains films ou romans (ce qui n’a rien de honteux au regard du volume de texte et des centaines d’œuvres abordées). Comme la SF est un domaine que je connais relativement bien, j’ai pu corriger, en plus de la grammaire, certaines bourdes. La version française est donc plus précise que la première édition en version originale. C’est assez gratifiant de pouvoir améliorer carrément la qualité informative d’un contenu.

N’est-ce pas un peu frustrant d’œuvrer ainsi dans l’ombre ?

Cyril Durr : Non, c’est le jeu de toute façon, ce sont les auteurs qu’il convient de mettre en avant. En tant que correcteur, je suis là pour mettre de l’huile dans les rouages, pour que la mécanique ne se grippe pas. Rester invisible, c’est le but. Je traque les coquilles, je reformule certaines phrases quand elles ne sont pas claires ou ne correspondent pas au style d’un personnage, à l’ambiance d’une scène, mais dans ces cas-là, je sais que mon rôle, bien qu’important, reste secondaire.
Et puis, j’ai déjà mon nom sur mes propres livres, ça me suffit ! [rires]

Justement, en parlant de ton travail d’auteur, comment est venue l’idée de ta BD, The Gutter ?

Cyril Durr : J’avais envie de m’amuser avec les habitudes éditoriales des éditeurs de comics, de pointer du doigt les tics de certains auteurs. C’est un peu un commentaire sur ce pan de la BD mondiale, mais ça reste léger et bienveillant.

The Gutter, comic book français écrit par le romancier et relecteur-correcteur BD Cyril Durr.
The Gutter, de Cyril Durr & Sergio Yolfa.

J’ai eu la chance d’être rejoint sur ce projet par Sergio Yolfa, qui avait le style parfait pour ces épisodes humoristiques. Il n’est pas seulement talentueux, il connaît très bien ces personnages et se les approprie sans difficultés. Le courant est tout de suite passé entre nous, ce qui est essentiel : une bonne harmonie se ressent forcément dans le résultat final.

Je sais que tu es également romancier, c’est évidemment techniquement très différent de l’activité de scénariste, quel rôle préfères-tu ?

Cyril Durr : Même si pour certains récits, je me tourne vers la BD, je n’ai jamais ambitionné de devenir scénariste. Mes plus grands souvenirs en tant que lecteur concernent des romans (comme 1984, Des Fleurs pour Algernon ou La Tour Sombre), et en tant qu’auteur, c’est aussi les romans qui me permettent la plus grande liberté narrative et la plus grande précision. Mais ça ne m’empêche pas d’aborder d’autres aspects de l’écriture. Je choisis en fait le médium le plus adapté à l’histoire que j’ai en tête et à la manière dont je souhaite la raconter.

Le Sang des Héros, un roman écrit par le relecteur-correcteur BD Cyril Durr.
Le Sang des Héros, un roman de Cyril Durr, relecteur-correcteur BD chez MAKMA.

En ce qui concerne ton roman, Le Sang des Héros, un papier dans Lanfeust Mag comparait le style narratif aux, je cite, « meilleurs romans de Stephen King ». Est-ce pour toi un auteur qui fait partie de tes sources d’inspiration ?

Cyril Durr : Au niveau de la construction des personnages, clairement, oui. Pour moi (même si cette vision n’est pas obligatoirement partagée par tous les auteurs), un roman repose avant tout sur les personnages. Si on s’en tape, s’ils n’ont pas l’air réels, alors peu importe ce que l’on raconte, ça tombera à plat. Stephen King est passé maître dans l’art d’installer un personnage, de lui donner de l’épaisseur, de l’âme, en seulement quelques lignes. Je suis dans cette mouvance, mais mes influences sont en réalité multiples, ça va de Maurice Leblanc à Racine, en passant par Philip K. Dick. J’aime beaucoup aussi Pierre Lemaître parmi les auteurs actuels.

Quels sont tes projets personnels futurs ?

Cyril Durr : Je termine l’écriture de mon prochain roman, un thriller fantastique qui se déroule dans une petite ville de Moselle et aborde, entre autres, le thème de l’inexorable marche du Temps et celui du pouvoir des Livres. Toujours avec mon compère Sergio, nous nous sommes lancés également dans un nouveau projet BD, très différent cette fois : cela se déroule dans un univers à mi-chemin entre le médiéval et le steampunk, avec des personnages incarnés par des animaux anthropomorphiques, essentiellement des chats. De la grande aventure, sur fond de complot, avec un soupçon de comédie et de drame. J’ai également en projet la co-écriture d’une pièce de théâtre, avec un auteur belge déjà expérimenté dans ce genre bien particulier, une manière pour moi de continuer à apprendre, à me confronter à de nouveaux défis.
Ah, et dans un registre plus inattendu (mais rien n’est fait, c’est encore à l’état d’idée), j’ai depuis longtemps l’envie de créer, en parallèle d’un de mes récits, sa « bande originale ». J’en ai parlé à un ami musicien, qui joue dans un groupe dont j’aime beaucoup le style, et… on verra bien, mais je trouverais ça énorme de pouvoir proposer aux gens un univers sonore unique en parallèle d’un roman. Une autre manière de décliner les thématiques abordées en quelque sorte.
Mais c’est parfois difficile de trouver assez de temps pour mener tout cela de front !

Justement, comment t’organises-tu ? Quelle est la semaine type d’un auteur/relecteur-correcteur BD ?

Cyril Durr : Il n’y a pas vraiment d’emploi du temps précis, du coup, il faut être rigoureux, réactif et bien gérer les priorités. Je travaille environ 50 à 60 heures par semaine, ce qui peut paraître énorme (et, d’une certaine façon, ça l’est), mais je préfère mes 60 heures actuelles aux 40 que j’effectuais il y a quelques années dans un taf purement alimentaire au Luxembourg. Le fait de travailler chez soi, dans un cadre agréable, de ne pas avoir de trajets à effectuer, de gérer ses horaires, d’avoir la chance de faire un métier que l’on aime, tout cela permet d’avoir une qualité de vie incomparable.
Concrètement, je donne évidemment toujours la priorité à mon métier de relecteur-correcteur BD, certaines deadlines (la date limite à laquelle rendre un travail) pouvant être parfois très serrées. Dès que j’ai un moment, je bascule sur mes propres projets ou j’écris des articles pour UMAC, un site consacré à la Pop Culture que je gère depuis 2006. Il m’arrive aussi de coloriser certains dessins de Sergio pour le site. Tout cela reste assez varié, ça permet de ne pas saturer.

Seul le travail paie

Si tu avais un conseil à donner aux gens qui veulent faire ce métier si particulier de relecteur-correcteur BD, ou même devenir auteur, ce serait lequel ?

Cyril Durr : Il faut lire beaucoup. Et il faut bosser comme un taré. Rien n’arrive par hasard. Il existe une sorte de folklore romantique autour du métier d’auteur, on parle de talent, d’inspiration… comme si tout se faisait sans efforts, juste parce qu’on se réveille un beau matin dans de bonnes dispositions. Ce sont des conneries. Le « talent », c’est en fait le savoir-faire. Ça parait facile parce que tu as mis 15 ou 20 ans à maîtriser un domaine. L’inspiration, c’est pareil, c’est une question d’assiduité et de rigueur. Si tu attends d’être « inspiré », tu ne fais jamais rien. Si tu te mets au travail tous les jours, même – surtout ! – quand tu n’en as pas envie, c’est là que « l’inspiration » vient. Mais je sais que ce n’est pas « sexy » comme conseil. Les gens veulent en général une recette magique, et tu leur dis « il faut bosser toute une vie, il faut aller au charbon », je comprends que cela soit décevant. Mais c’est ainsi. Il n’existe pas de méthode pour jouer de la gratte comme Mark Knopfler en 15 jours. Pour jouer comme lui, il faut bosser comme lui : beaucoup.

Merci, Cyril, de nous avoir fait découvrir ton métier de relecteur-correcteur BD, et bravo pour l’ensemble de tes activités créatives.

[Propos recueillis par Thomas Suinot.]

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