Crime SuspenStories tome 4 : interview du traducteur de comics Maxime Le Dain

Publié le 11 mai 2020
Crime SuspenStories t4 aux éditions Akileos

Pour assurer l’adaptation complète du tome 4 de la série Crime SuspenStories aux éditions Akileos, nous avons fait appel à plusieurs traducteurs de comics qui se sont répartis la lourde tâche d’adapter ces polars macabres aussi délicieux que bavards. Camille Gardeil a transposé en français le #22. Sarah Grassart est la traductrice des #23 et #27. Stéphane Le Troëdec adapte Crime SuspenStories #26. Enfin, Maxime Le Dain signe la VF des #24-25. Nous avons interrogé ce dernier à propos de ce travail exigeant.

Alors, Maxime, quel effet ça fait de traduire du EC Comics ?

Maxime Le Dain : Pour tout dire, je trouve ça presque émouvant. D’un point de vue purement historique, EC Comics constitue un point de bascule dans la bande dessinée américaine – et dans la BD tout court, au final. Pour la première fois, au tournant des années 50, les comics osaient aborder des sujets glauques, sombres, cruels, avec un fond d’humour noir sans précédent. Si on pense avant tout à leurs magazines d’horreur (Tales From the Crypt, The Vault of Horror…), les Crime SuspenStories contribuaient également à ce déminage en règle du rêve américain. Les codes de l’horreur, de la SF et du polar tels que développés dans les pulps des années 20 et 30 se doublaient dans les productions EC d’une charge satirique et sociale encore féroce aujourd’hui.

Crime SuspenStories : une influence artistique encore présente de nos jours

Et du côté des auteurs, tu as des préférences ?

Maxime Le Dain : Difficile à dire, tant l’écurie de l’éditeur laisse pantois. Non mais c’est fou ! Harvey Kurtzman, Bill Elder, Wally Wood, Jack Davis, Al Feldstein… Rien que des génies du scénario, de la composition, du lettrage et du dessin qu’on retrouvera dans MAD par la suite. Leur talent visionnaire a jeté les bases de tout ce qui viendra ensuite : les comix underground des années 60/70 de Crumb, Shelton, S. Clay Wilson et tant d’autres ; la BD alternative plus intello des années 80 et 90, genre Spiegelman, Burns, Clowes (et à travers eux, de notre Association) ; le foisonnement d’éléments dans les cases qu’on retrouvera dans les Watchmen (la lecture de MAD a changé la vie d’Alan Moore, par exemple) ; et plus près de chez nous, toute la génération Hara-Kiri et Pilote (Goscinny était un grand copain et un ancien collègue de Kurtzman), depuis Gotlib jusqu’à Wolinski. Tous des fans absolus de ces artistes miraculeux qui se sont retrouvés, le temps de quelques prodigieuses années, au sein de EC Comics. Ça se voit que je les aime, ou pas ?

Oui, oui, t’inquiète. D’ailleurs, arrête de baver et de postillonner partout, c’est vraiment pas très Covid, comme attitude. Et sinon, à traduire, c’est comment ?

Maxime Le Dain : Euh… éprouvant ? Il y a d’abord ce mur de texte qui frappe à chaque page. Alors là, oui, on est loin des débuts d’Image Comics avec des pleines pages ne présentant qu’un gros coup de poing et un « Prends ça, Méchannihilator ! » de bon aloi (d’autant qu’on est payés pareil, qu’on traduise 500 ou 3 mots par page, pauvres petits traducteurs que nous sommes). Non, là, on est dans un rapport beaucoup plus littéraire à la bande dessinée, où les cartouches de narration redoublent souvent ce qu’on voit à l’image. C’est un marqueur d’époque, bien sûr, mais c’est aussi un moyen très puissant d’ajouter à l’atmosphère, surtout dans les histoires les plus horrifiques (même celles de Crime Suspenstories). On y trouve beaucoup de jeux de mots, d’allitérations, de répétitions, de surcharge adjectivale, de tournures miroir.

Crime SuspenStories : une utilisation géniale du potentiel de la BD

Crime SuspenStories t4
Crime SuspenStories #24 : « Pour le Meilleur et pour le pire ».

 

Je pense tout particulièrement à l’épisode « Pour le meilleur et pour le pire » du #24, dans le tome 4 de Crime Suspenstories, où la page est coupée en deux et les actes séparés d’un couple meurtrier se répondent, d’une colonne à l’autre : une utilisation purement géniale du potentiel unique de la BD ! Bref, c’est long, ludique et pas évident à traduire, mais on finit par se prendre à cette narration tantôt poussiéreuse, tantôt fulgurante de modernité, surtout quand on apprécie les codes du pulp. Le truc qui me dérange le plus, bizarrement, c’est l’abondance de points de suspension. On se croirait chez Céline ! Ça donne un rythme très curieux, mais je ne peux pas m’empêcher d’en sabrer certains, tant c’est foisonnant.

Crime SuspenStories t4
Crime SuspenStories t4 : une traduction de Maxime Le Dain aux éditions Akileos.

 

Eh bien, merci Maxime. On attend avec impatience la sortie de ce quatrième tome de la série Crime SuspenStories chez Akileos, maintenant !