Traduction de la BD Ukraine : interview d’Anna Banchereau

La traduction de la BD Ukraine : petite histoire d’une longue guerre avec la Russie est bien plus qu’un simple passage d’une langue à une autre. C’est un acte engagé pour transmettre aux lecteurs francophones la complexité historique et émotionnelle du conflit ukrainien. Pour mieux comprendre les enjeux de cette traduction unique, nous avons échangé avec Anna Banchereau de Rossignol, la traductrice, pour parler de ses motivations personnelles, des défis culturels rencontrés et de l’importance de rendre accessible au plus grand nombre l’histoire tourmentée d’un pays en quête permanente de liberté.
Le choix d’une traduction engagée
Qu’est-ce qui t’a attirée dans ce projet de traduction en particulier ?
Anna Banchereau : Étant d’origine ukrainienne et ayant toute ma famille en Ukraine, je suis profondément touchée par la guerre. Ce projet était une belle opportunité de faire découvrir aux Français la véritable histoire de l’Ukraine, ancienne et contemporaine, à travers un format accessible et ludique. J’ai voulu aider à faire comprendre sa quête de liberté, souvent méconnue ou mal interprétée.
Quelles étaient tes principales préoccupations éthiques ou philosophiques lors de la traduction de cette œuvre ?
Anna Banchereau : La rhétorique russe met en avant une prétendue fraternité entre Ukrainiens et Russes, selon laquelle ces deux nations seraient inséparables. Or, cette bande dessinée montre que l’histoire a surtout été marquée par des tentatives répétées de soumission et d’effacement de l’identité ukrainienne par la Russie. Il était essentiel pour moi de transmettre cette réalité aux lecteurs français, en révélant comment cette « fraternité » a souvent servi de masque aux ambitions impérialistes russes.
Quel message ou quelles émotions espères-tu transmettre aux lecteurs à travers ton travail de traduction ?
Anna Banchereau : J’aimerais que les lecteurs comprennent la peur, le désespoir et la confusion éprouvés par les Ukrainiens face à l’invasion brutale et traîtresse de la Russie. Mais surtout, je veux qu’ils prennent conscience de la bataille incessante que l’Ukraine mène depuis des siècles pour sa liberté. Il est impensable que la Russie réussisse à soumettre l’Ukraine. C’est un peuple libre par essence qui ne pourra jamais être réduit en esclavage.
Rendre accessibles des réalités complexes
Quels défis as-tu rencontrés lors de la traduction de thèmes sensibles comme la guerre et l’histoire de l’Ukraine ?
Anna Banchereau : L’un des plus grands défis a été la traduction du poème La Ballade sur Baïda. N’ayant trouvé aucune traduction française existante, j’ai dû le traduire moi-même. C’était à la fois un challenge et une expérience passionnante, car il fallait conserver à la fois le sens, le rythme et l’émotion du texte original.
Comment as-tu géré la traduction des nuances culturelles et historiques spécifiques au contexte ukrainien ?
Anna Banchereau : J’ai fait très attention aux termes souvent traduits en français via leur transcription russe. Il était essentiel pour moi d’utiliser les versions ukrainiennes, comme « kourkoul » au lieu de « koulak » et « Kyiv » au lieu de « Kiev », pour refléter la véritable identité ukrainienne. Les versions russifiées de certains termes ont historiquement été utilisées pour effacer la spécificité ukrainienne. J’ai parfois ajouté des notes explicatives pour aider les lecteurs à comprendre ces choix et leur signification.
Quel rôle penses-tu que la bande dessinée peut jouer dans la sensibilisation et la compréhension internationale des conflits contemporains ?
Anna Banchereau : La bande dessinée est un formidable moyen de rendre accessibles des sujets complexes. L’histoire y est étroitement liée à l’actualité, ce qui aide à mieux saisir la situation en Ukraine. Le format bien structuré et les illustrations soignées facilitent la compréhension pour un large public.
Y a-t-il eu des moments clés dans la bande dessinée où tu as ressenti une responsabilité particulière en tant que traductrice ?
Anna Banchereau : Oui, plusieurs termes cruciaux nécessitaient des notes explicatives pour être compris par les lecteurs français. Des concepts comme « Holodomor » (la grande famine de 1932-1933), « Sitch » (le centre politique et militaire des cosaques), « Malorusse » (terme impérial russe pour désigner les Ukrainiens), ou encore « Euromaïdan » (les manifestations pro-européennes de 2013) sont essentiels pour saisir l’histoire et l’actualité ukrainiennes, il était donc impératif de les expliquer pour éviter toute confusion.

La traduction de la BD Ukraine, entre processus collaboratif et rigueur documentaire
As-tu eu besoin de ressources ou recherches supplémentaires pour garantir une traduction précise et complète ?
Anna Banchereau : Oui, absolument. J’ai dû mener plusieurs recherches, notamment pour retrouver les noms exacts des tribus qui vivaient autrefois sur le territoire ukrainien, des anciennes villes de l’époque de la rus’ de Kyiv, ou encore les équivalents français de certains termes historiques et culturels. Il était important de garantir l’exactitude des références historiques et culturelles.
As-tu travaillé en étroite collaboration avec les auteurs ou d’autres membres de l’équipe créative pendant le processus de traduction ?
Anna Banchereau : J’ai travaillé en étroite collaboration avec l’équipe de MAKMA, notamment avec Mathieu Auverdin, coordinateur de projets, et Roxane Gardeil, responsable du pôle traduction. Nous avons échangé tout au long du processus, avec des relectures, des remarques et des ajustements pour affiner la traduction et garantir une meilleure adaptation au public francophone. C’était mon premier projet avec MAKMA, et j’espère avoir l’occasion d’en faire d’autres !
Merci Anna pour ta disponibilité, et encore bravo pour ce superbe travail d’adaptation VF !
Cette traduction de la BD Ukraine ne constitue pas uniquement un travail linguistique rigoureux ; c’est aussi une démarche engagée, sensible et pédagogique. Grâce à Anna Banchereau de Rossignol, les lecteurs francophones disposent désormais d’un outil précieux pour mieux comprendre l’histoire complexe et souvent méconnue d’un peuple qui, malgré les épreuves, ne cesse jamais de se battre pour affirmer son identité et défendre sa liberté.
Encore une adaptation de bande dessinée en VF magistralement réussie par l’équipe MAKMA !