Traducteur d’Invincible, Edmond Tourriol témoigne

Publié le 22 novembre 2023
Invincible, intégrale tome 9, adapté en français par le traducteur Edmond Tourriol. Invincible, intégrale tome 9, adapté en français par le traducteur Edmond Tourriol.

Edmond Tourriol, traducteur d’Invincible (de Robert Kirkman et Ryan Ottley), nous présente ce qu’il considère comme une des meilleures BD de super-slips de tous les temps. Le directeur général de MAKMA a grandi en lisant des comics, et Invincible est l’un de ses super-héros préféré depuis vingt ans.

Mark Grayson alias Invincible

Edmond, peux-tu nous parler d’Invincible ?

Edmond Tourriol, traducteur d’Invincible : Invincible est un de mes super-héros préférés de tous les temps. C’est pas rien de le dire parce que j’ai grandi avec Marvel. Je suis un enfant de la génération Strange, j’ai appris à lire en lisant les aventures de l’Homme-Araignée. J’ai grandi en lisant les X-Men de Chris Claremont et John Byrne, je suis vraiment un fils de la tribu Marvel. Pour autant, quand Invincible est arrivé il y a maintenant 20 ans, c’était très rafraîchissant. Il était un petit peu le Nova de ma génération, un super-héros Marvel qui était plus ou moins le Peter Parker des gamins nés au milieu des années 70 comme moi. Invincible était la même chose mais quelques décennies plus tard.

Peux-tu nous expliquer l’histoire d’Invincible ?

Edmond Tourriol : Invincible, en gros, c’est un gamin, un étudiant qui chope des pouvoirs et qui devient super-héros. Comment il a attrapé ces pouvoirs ? Il n’a pas été mordu par une araignée radioactive et il n’a pas non plus récupéré les pouvoirs d’un extra-terrestre. Il s’est rendu compte qu’il était l’héritier des pouvoirs de son père qui était un super-héros. Dans les premiers épisodes, on découvre – attention si vous ne l’avez pas lu – que son père n’est pas seulement un des plus grands super-héros de la Terre, mais surtout qu’il est là en réalité pour conquérir notre planète. Il a été envoyé par une espèce extra-terrestre qui a pour but de coloniser l’univers, et lui, il est le représentant de cette civilisation qui vient de la planète Viltrum pour nous réduire en esclavage.

Comment se développent les relations entre Invincible et son père ?

Edmond Tourriol : Souvent, les ados se disputent avec leur père. Mais quand ton père, c’est le plus grand super-héros de la Terre, et c’est aussi le mec qui est là pour conquérir la planète, et que toi tu n’es pas d’accord et que tu as aussi des pouvoirs, au lieu de juste te disputer avec ton père, tu te mets de grandes mandales dans la gueule en rasant des montagnes et en faisant des dégâts monstrueux.

Traducteur d’Invincible et de Robert Kirkman

En tant que traducteur d’Invincible, peux-tu nous dire quelle est la particularité du style d’écriture de Robert Kirkman, le scénariste ?

Edmond Tourriol : Robert Kirkman sait très bien mettre en scène la vie de tous les jours et des dialogues du quotidien. Il met en opposition ces moments futiles et les batailles colossales . Il y a un côté terre à terre dans la vie privée de Mark Grayson et un côté épique monumental quand il met son costume de super-héros. Et j’aime beaucoup ses dialogues. Globalement, Kirkman fait parler ses personnages comme des gens que je comprends et dont je peux m’approprier les maniérismes, la façon de s’exprimer. C’est confortable pour un traducteur.

Comment as-tu personnellement connecté avec le personnage d’Invincible, Mark Grayson ?

Edmond Tourriol : Dans le quotidien de Mark Grayson, je me reconnais complètement. Moi aussi, quand j’étais jeune, j’ai travaillé dans un fast-food pour financer mes études, par exemple.

Y a-t-il eu des conflits familiaux dans ta vie qui ont résonné avec l’histoire d’Invincible ?

Edmond Tourriol : Comme tous les ados, j’ai eu des disputes avec mon père, mais on n’a jamais rasé des immeubles quand on se disputait. Kirkman a su mettre en scène la vie de tous les jours dans un contexte supérieur, et j’ai trouvé ça très intéressant.

Quelle est ton expérience en tant que traducteur d’Invincible en français ?

Edmond Tourriol : J’ai eu la chance d’être le traducteur d’Invincible aux éditions Semic quand c’est arrivé en France au début des années 2000, et ce dès le premier épisode. On a fait les trois ou quatre premiers, et après on s’est arrêté parce que ça ne marchait pas. Delcourt a ensuite réédité les premiers épisodes et la série a continué jusqu’à la fin de sa publication.

Où peut-on trouver Invincible actuellement ?

Edmond Tourriol : La série est en cours de réédition au format prestige, c’est-à-dire en intégrales. Tous les épisodes sont repris, y compris les épisodes crossover. Chaque intégrale reprend l’équivalent de deux tomes de la série Delcourt d’origine.

Qu’est-ce qui rend Invincible si spécial par rapport à d’autres séries de super-héros ?

Edmond Tourriol : C’est une très bonne série de super-héros et c’est probablement la meilleure série de super-héros hors Marvel et DC, si ce n’est la meilleure série de super-héros tout court. C’est une des rares séries que j’ai continué à acheter. J’étais payé pour la traduire donc je recevais les épisodes gratuitement en PDF, mais je l’achetais quand même pour l’avoir dans ma collection. C’est dire si j’étais vraiment fan d’Invincible.

As-tu des auteurs ou des séries de BD préférés en dehors d’Invincible et de Robert Kirkman ?

Edmond Tourriol : En fait, je suis un gros fan de BD et j’achète encore quelques séries, même si je reçois énormément de BD dans mon travail. En plus de Kirkman, j’achète les BD de Geoff Johns, et en France, j’achète les BD de Riad Sattouf. Sinon, quand je voyage et que je passe pas loin d’un comic shop, je me débrouille toujours pour m’offrir quelques comics vintage des années 70 ou 80.

Quel est le meilleur souvenir que tu gardes de ton travail sur Invincible ?

Edmond Tourriol : Eh bien, c’est sans doute le fait d’avoir pu contribuer à l’introduction de ce super-héros rafraîchissant et unique en France. C’est toujours un plaisir de travailler sur une œuvre que vous appréciez personnellement.

Travailler sur des grands noms

Comment évalues-tu le travail des dessinateurs sur Invincible ?

Edmond Tourriol : Graphiquement, Invincible est très intéressant. Cory Walker a commencé la série avec un style très original qui n’a pas nécessairement conquis le public. En plus, il avait du mal à dessiner rapidement, c’est pour ça qu’il a été remplacé par Ryan Ottley. Lui, en revanche, c’est une véritable machine en termes de production. Il arrivait à produire un épisode par mois sans jamais faillir, un peu comme les dessinateurs des années 80.

Qu’as-tu pensé de l’évolution du style de ces deux dessinateurs tout au long de la série ?

Edmond Tourriol : Cory Walker et Ryan Ottley ont suivi des trajectoires différentes. Walker, en particulier, est un grand designer et a continué à collaborer sur Invincible tout au long de la série. Dès qu’il y avait des personnages à créer, c’est souvent lui qui s’en chargeait. J’aimais beaucoup son style du début, très anguleux et expressif. Quand il est revenu sur la série pour certains story arcs, son style avait un peu changé et j’étais moins fan, même s’il restait très talentueux.

Ottley, quant à lui, avait un style beaucoup plus classique et super-héroïque, qui correspondait à mon éducation graphique. Il était parfait pour dessiner des grandes scènes de combat, par exemple.

Et qu’en est-il du rôle de Robert Kirkman dans tout ça ?

Edmond Tourriol : Kirkman est aussi un « enfant de Marvel », comme moi, et ça se voit dans son travail. L’équipe qu’il a formée avec Walker et Ottley sur Invincible fonctionne vraiment très bien. Ils ont réussi à maintenir une cohérence artistique du début à la fin de la série, ce qui est assez rare pour une série qui a commencé après les années 2000. C’est une véritable réussite.

Traducteur d’Invincible, un travail pas comme un autre

As-tu ressenti des contraintes spécifiques lors de la traduction de cette série ?

Edmond Tourriol : Oui, bien sûr. Comme je l’ai dit, j’étais au début de ma carrière lorsque je suis devenu le traducteur d’Invincible. Je n’étais pas aussi expérimenté que je le suis maintenant. Un des exemples les plus marquants est quand j’ai choisi de nommer les habitants de la planète Viltrum « Viltrumites » comme dans la version anglaise, plutôt que de les appeler « Viltrumiens ». Aujourd’hui, c’est l’un de mes plus grands regrets.

As-tu des exemples où tu as réussi à franciser certains noms sans perdre l’essence du personnage ?

Edmond Tourriol : Oui, en fait, c’était l’une de mes priorités en travaillant sur la série. J’ai toujours pensé que les super-héros devraient avoir des noms qui résonnent dans la langue du lecteur. Par exemple, « Spider-Man » devrait être « l’Homme-Araignée ». Donc, j’ai fait beaucoup d’efforts pour localiser les noms de certains super-héros ridicules en anglais en noms tout aussi ridicules en français.

Est-ce que tu penses que cela a influencé la façon dont le public français a reçu la série ?

Edmond Tourriol : Je le crois. Parce que lorsque les lecteurs peuvent comprendre et se connecter au nom d’un personnage, ça rend l’histoire beaucoup plus immersive. Je pense que ça a aidé à rendre Invincible plus accessible et attrayante pour le public français.

Quels sont les défis particuliers que tu as rencontrés en étant le traducteur d’Invincible ?

Edmond Tourriol : La première chose que je dirais, c’est que j’ai toujours essayé de respecter la « voix » de chaque personnage. C’est quelque chose qui est essentiel dans toute traduction, mais c’est particulièrement important dans un récit aussi centré sur les personnages qu’Invincible. Chaque personnage a une façon unique de parler, une sorte de dialecte individuel, et il est important de le transmettre dans la traduction.

Pourrais-tu nous donner un exemple de la manière dont tu as adapté le dialogue pour qu’il corresponde à un personnage particulier ?

Edmond Tourriol : Je n’ai pas d’exemple précis à l’esprit à l’instant, mais en général, je cherchais toujours à respecter le ton de chaque personnage. Si un personnage parle de manière formelle en anglais, j’essaie de transmettre ça en français. Si un personnage a un ton plus familier ou sarcastique, j’essaie de rendre ça aussi.

As-tu eu l’occasion de recevoir des retours de la part des fans de la série sur ton travail de traduction ?

Edmond Tourriol : Oui, absolument. Et je dois dire que la plupart des retours ont été très positifs. Beaucoup de fans m’ont dit qu’ils avaient apprécié la manière dont j’avais pu rendre l’essence des personnages et de l’histoire en français. Il y a toujours des critiques, bien sûr, mais dans l’ensemble, je suis très fier du travail que j’ai accompli.

Si tu avais à traduire Invincible à nouveau, changerais-tu quelque chose dans ton approche ?

Edmond Tourriol : C’est une bonne question. Je pense que j’ai fait du mieux que je pouvais à l’époque, mais avec le recul, je changerais probablement certains aspects. Par exemple, comme je l’ai mentionné, je regrette d’avoir traduit le nom des habitants de la planète Viltrum par « Viltrumites » plutôt que « Viltrumiens ». C’est une erreur que je ne referais pas aujourd’hui. Je pense aussi que j’essaierais peut-être de traduire certains des noms de super-héros de manière un peu différente. Mais dans l’ensemble, je suis fier du travail que j’ai accompli et je ne changerais pas grand-chose.

Edmond Tourriol, traducteur d'Invincible de l'anglais (américain) vers le français.
Edmond Tourriol, traducteur d’Invincible.

Merci Edmond pour tes réponses, et à bientôt dans une nouvelle traduction de comics ! La série Invincible est disponible en version française dans une édition intégrale chez Delcourt : bonne lecture !