Adeline Cast : la plume d’Alligator Queen

Publié le 22 mai 2024
Alligator Queen écrit par Adeline Cast

Dans le cadre d’une entrevue exclusive, nous avons eu le plaisir de discuter avec Adeline Cast, webnoveliste d’Alligator Queen pour le compte de l’agence de développement de contenus créatifs Flibusk, qui nous a offert un aperçu de la création et du développement de ce webnovel innovant disponible sur la plateforme numérique Neovel.

Quelle idée réside au cœur d’Alligator Queen ?

Adeline Cast : L’idée principale qui est explorée dans Alligator Queen est celle de l’identité. Le personnage principal est à la recherche de qui elle est devenue après un traumatisme qu’elle doit surmonter, qui elle veut être, et comment faire coexister paisiblement toutes les parties d’elle-même. Bella est très en colère, et elle a de nombreuses raisons de l’être, mais cette colère peut l’avaler et la brûler vivante de l’intérieur si elle n’apprend pas à la manier d’une manière qui soit féconde plutôt que destructrice. Il s’agit là de l’enseignement principal du vaudou tel qu’il est vécu au Bénin, son berceau : un être humain doit unir tous les éléments de son être, aussi contradictoires et conflictuels puissent-ils sembler, afin de devenir une unité indivisible, ce qui lui permettra de rester debout malgré les inconstances de l’existence.

Dans ce webnovel, une critique sociale est présente. Qui est principalement visé par cette critique : la société en général ou des institutions spécifiques ?

Adeline Cast : Ce que je souhaitais représenter dans ce livre, c’est la banalité du mal. On n’est pas face à un tueur en série psychopathe sans remords ou un grand méchant Marvel qui veut annihiler toute vie sur Terre pour s’emparer de notre pauvre caillou malmené. Non, on est face à un système qui broie des millions de gens et les montent les uns contre les autres pour les contrôler et se maintenir. Il aurait été trop simpliste (et par là-même faux) de désigner d’un doigt accusateur le racisme de quelques individus mauvais comme étant la source des maux de mes personnages.

Le racisme aux États Unis est institutionnel, dans le sens où il imprègne tout le système et est encouragé par ceux qui profitent de ce dernier. Les agresseurs de Bella sont des pauvres types sans intérêt, qui portent des noms basiques que je ne retiens pas moi-même, qui vivent une petite vie médiocre qui ne leur convient pas, et qui marinent dans l’amertume et la colère. Eux aussi sont des victimes du système, mais ils sont tellement aveuglés par leur ressentiment et par le discours qu’on leur sert qu’ils en sont inconscients. Cela n’excuse bien sûr pas leurs actes, qui restent une décision personnelle, mais les choses sont trop complexes pour être analysées d’une manière réductrice.

En quoi Bella offre-t-elle une possibilité d’identification au lectorat ?

Adeline Cast : Bella se trouve dans la vingtaine, et comme tous ceux qui ont entre 20 et 30 ans, elle galère : elle cherche encore sa place dans le monde, comment être à l’aise dans sa peau, qui elle veut être. On parle beaucoup de l’adolescence, lorsque nos hormones nous secouent, que nous sommes à fleur de peau et que nous ressentons les choses d’une manière particulièrement intense.

Mais la période qui suit ne s’avère pas forcément plus tendre : nous voici à présent adultes, hors du cocon familial plus ou moins confortable selon les situations, à explorer le monde parfois sans filet de sécurité, à la recherche d’un but à poursuivre, d’un sens à notre vie, d’une place qui nous semble en adéquation avec nos valeurs, valeurs que nous remettons d’ailleurs en question, parce que nous avons atteint une maturité suffisante pour nous poser beaucoup de questions dont les réponses peuvent se révéler violentes. La vingtaine est tout sauf un long fleuve tranquille…

Quelle a été l’inspiration principale pour la création et le développement de cette IP, ainsi que pour mener à bien son écriture ?

Adeline Cast : Je suis partie de la musique. Étant moi-même pianiste, et ayant grandi dans une famille qui comportait beaucoup de musiciens, elle constitue une très grande partie de ma vie et de mon être. Le jazz est une musique faite de métissage et de liberté qui trouve, elle aussi, ses origines en Afrique. Plusieurs parallèles peuvent être tirés avec le vaudou, religion adaptable que chacun peut pratiquer de la manière qui lui convient afin d’y trouver ce dont il a besoin. La musique infuse donc le récit. Même son absence est ressentie profondément.

Le deuxième thème principal de l’histoire est la différence. Lorsque le loa prend possession de Bella, j’ai souhaité qu’il se retrouve bloqué à l’intérieur de son corps de manière accidentelle et que la question de la cohabitation puis de la fusion se pose, afin d’explorer un changement radical et une situation qui sort des cadres : Bella n’est plus femme, mais elle n’est pas non plus déesse. Elle est entre les deux et les deux à la fois. Elle sort des cases bien définies, qui peuvent rassurer mais aussi étouffer. Pour illustrer ce changement, elle va porter un nouveau nom. Le parallèle avec la non binarité apparaît de manière évidente. Cette exploration de la différence dans tout ce qu’elle peut avoir de libérateur sous-tend mon écriture du parcours de Bella.

Pourrais-tu décrire le ton et l’atmosphère de la série, et expliquer comment ils contribuent à l’expérience globale des spectateurs ?

Adeline Cast : Je souhaite que mes lecteurs puissent vraiment visualiser les lieux et plonger dans leur ambiance particulière, qu’ils soient déjà allés à La Nouvelle-Orléans ou pas. Je cherche à créer une expérience visuelle, en multipliant les courtes descriptions des lieux : l’architecture unique, la musique qui est omniprésente, la cuisine et toutes ses saveurs, les vêtements des initiés, la végétation du Bayou, la chaleur humide de la région qui colle à la peau, … Je veux faire voyager mes lecteurs, pour qu’ils sortent de de ce livre avec des images plein la tête, et l’envie de réserver un billet pour le prochain avion en partance pour La Nouvelle- Orléans.

Quel message cherches-tu à transmettre à travers ce webnovel ?

Adeline Cast : Nous sommes des êtres vivants, nous sommes donc en constante transformation. La vie est mouvement. Je crois que notre identité n’est pas fixe : elle évolue avec nous et ne doit pas se transformer en carcan qui nous éloigne les uns des autres. C’est en acceptant l’inconnu et l’insaisissable, en se laissant de nouveau surprendre, en célébrant la richesse de la différence, que l’on peut vivre en harmonie et que l’on peut se défaire de ce cynisme occidental dans lequel on patauge et qui ne nous rend pas heureux. Nous vivons dans un monde désenchanté qui aurait bien besoin de réapprendre à s’émerveiller.

Quels défis as-tu rencontrés lors de la rédaction d’Alligator Queen ?

Adeline Cast : L’étape de préproduction a été très lourde. J’avais énormément de recherches à mener sur plusieurs sujets complexes si je voulais m’assurer de construire un monde qui tienne la route et qui soit peuplé de personnages crédibles. Je me suis plongée dans l’étude du vodoun, c’est-à dire le vaudou tel qu’il est vécu au Bénin. Il me fallait comprendre cette vision du monde radicalement différente de la vision occidentale laïque et rationaliste qui m’a été transmise. Une fois cette philosophie comprise du mieux que je pouvais, il m’a fallu y ajouter les éléments fantastiques d’une manière qui fasse sens.

Je suis une jeune femme blanche française qui n’a (pour l’instant) malheureusement jamais mis les pieds à La Nouvelle-Orléans : mon vécu est donc très éloigné de celui de personnes de couleur dans le sud des États Unis. Je voulais que mes personnages sonnent juste. Grâce à mes études à Sciences Po Toulouse, où j’ai suivi de nombreux cours de sociologie, j’avais déjà été sensibilisée à pas mal de choses, mais ce n’était pas assez.

J’ai donc effectué beaucoup de recherches : j’ai lu des textes des trois figures centrales de la lutte pour les droits civiques au XXe siècle que sont James Baldwin, Malcolm X et Martin Luther King, des essais philosophiques sur la violence, l’identité et la musique ; j’ai regardé la moitié de la filmographie de Spike Lee, plusieurs films qui dépeignent la ville et le vaudou louisianais d’une manière plus ou moins réaliste ou réussie, et de nombreuses interviews sur YouTube ; j’ai visité toute une partie de la ville grâce à Google Maps ; je me suis aussi appuyée sur l’exposition au quai Branly sur les Black Indians et sur des livres portant sur l’architecture néo-orléanaise. Bref, j’ai utilisé tous les moyens mis à ma disposition par les technologies modernes pour créer un monde solide et des personnages en lesquels on peut croire. J’espère y être parvenue !

Est-ce qu’une adaptation d’Alligator Queen dans d’autres formats est envisagée ?

Adeline Cast : Une exploration de cet univers est en effet prévue dans d’autres formats : nous sommes actuellement en train de travailler sur des character designs pour une version webtoon que nous souhaitons présenter à plusieurs plateformes, et une entreprise française de création de jeux a exprimé un intérêt dans cette IP pour une adaptation en jeu de carte.

Enfin, y a-t-il une deuxième saison prévue pour ce webnovel ? Pourrais-tu nous donner un aperçu de ce que les lecteurs peuvent attendre de la saison à venir d’Alligator Queen ?

Adeline Cast : Un deuxième tome est en effet prévu. Je n’en ai pas encore déroulé la trame, mais je sais que je souhaite explorer la communauté. Au cours du premier tome, Bella apprend à accepter l’ambivalence de son être, à faire coexister les différentes parties d’elle-même d’une manière plus apaisée, et à laisser s’exprimer celles-ci sans en réprimer certaines. Pour surmonter l’épreuve de cette agression, elle a dû changer, comme nous le faisons tous plusieurs fois au cours de notre existence, mais ce faisant elle s’est isolée. Elle a oublié l’un des enseignements clés du vaudou : un être humain n’existe pas hors du monde et des autres – il participe à un tout plus vaste que lui –, et on ne devient pleinement sujet qu’en nous reliant. Un individu seul est un individu fragilisé et vulnérable. Bella doit donc maintenant trouver qui sont « les siens » et comment elle s’intègre au groupe.

Un grand merci à Adeline Cast, qui a su répondre à toutes nos questions de manière exhaustive, et qui a travaillé d’arrache-pied pour créer une série immersive et de qualité. N’attendez pas pour aller la découvrir sur la plateforme Neovel !

 

Bannière Alligator Queen
Bannière de couverture du webnovel Alligator Queen.