Donner vie à Skynesis : la colorisation solarpunk
Dans Skynesis – La Traversée des Archipels, chaque île raconte une histoire, et chaque couleur a une signification. Cette colorisation solarpunk sert de fil conducteur visuel et narratif dans ce serious game développé pour l’APEC avec le Studio IKOI, qui plonge les joueurs dans un univers éclatant, entre nature, technologie et quête de sens.
Pour créer cette atmosphère unique, le studio MAKMA a mobilisé ses talents en illustration et en colorisation solarpunk, avec un trio de coloristes talentueuses : Elsa Chanal, Audrey Loupadière et Laurie Chesnais. Toutes trois ont contribué à définir l’identité visuelle de ce monde suspendu entre ciel et mer, en adaptant les codes du solarpunk au format vidéoludique.
Dans cette interview croisée, elles reviennent sur leur démarche, leurs inspirations et les défis techniques de ce projet pas comme les autres.
Trouver l’identité visuelle d’un monde solarpunk à travers la colorisation
Le solarpunk a une palette très particulière : comment avez-vous adapté la colorisation au jeu ?
Elsa Chanal : Pour les palettes, Audrey et Laurie sont mieux placées pour en parler, ce sont elles qui ont choisi la plupart des couleurs et donné le ton. De mon côté, j’ai surtout travaillé les effets (ombres, lumières, ambiance, etc.). Mon objectif, c’est surtout de mettre en valeur les matières et les éléments pour accentuer les aspects métalliques, rouillés et naturels qui sont intrinsèques au genre. Globalement, c’est pour ça qu’on retrouve beaucoup de tons terreux (jaune, marron, vert), sauf dans la région Nova Metropolis où les couleurs sont plus artificielles, et même la végétation y est plus saturée.
Laurie Chesnais : Pour préciser mon rôle : j’ai travaillé comme aplatiste, principalement pour aider Elsa en réalisant les aplats de couleur pour des personnages, objets et icônes du jeu, en proposant des palettes en accord avec l’ambiance solarpunk et le travail déjà réalisé avant que je ne rejoigne l’équipe (même si ce ne sont pas forcément les couleurs retenues). Cela lui a permis de se concentrer sur le choix final des couleurs et les finitions, rendant ainsi le processus plus fluide et efficace.

Audrey Loupadière : Lorsque j’ai rejoint le projet une grosse partie de la palette avait déjà été décidée, je n’avais plus qu’à la reprendre en respectant les codes du jeu afin de respecter la narration visuelle déjà établie. Chaque couleur a un sens particulier qui la lie à un secteur professionnel différent, mais chaque zone a aussi sa propre identité qui mimique l’état d’esprit du protagoniste alors qu’il cherche sa propre voie.
Et bien que le jeu soit dans un univers solarpunk, d’une île à l’autre l’influence change, et passe au steampunk, puis au cyberpunk. J’ai essayé de garder la palette de la première île, qui était totalement solarpunk, et de la réarranger dans les zones suivantes afin de conserver une certaine continuité. Garder des teintes assez vives avec beaucoup de pep’s mais avec une couleur prédominante différente pour bien isoler chaque section du jeu.

Y a-t-il une séquence dont la mise en couleurs vous a donné le plus de plaisir ou de défis ?
Elsa Chanal : J’ai beaucoup aimé travailler sur les visuels de la zone Les Brumes Éternelles, parce que c’est celle qui me parle le plus esthétiquement, ça s’est fait assez naturellement. A l’inverse, la zone Nova Metropolis a été la plus complexe à faire. Avec l’ambiance futuriste et les néons, il fallait trouver un équilibre : des couleurs très pop mais sans fatiguer les yeux ni perdre en lisibilité.
Audrey Loupadière : La deuxième île (NDLR : Les Brumes Éternelles) est très tournée steampunk et c’est mon style préférée, j’étais très motivée ! La partie qui a été le plus gros défi est l’île cyberpunk. Beaucoup, beaucoup d’éléments. Beaucoup de personnages, des décors complexes, peu de végétation, et des tas d’hologrammes avec chacun une image différente. Pour cette zone, se référer à la palette de couleur des métiers était très important, et le nombre de couleurs différentes sur un personnage et quelles couleurs choisir étaient autant des choix narratifs qu’esthétiques. Beaucoup plus que pour les autres zones.

Collaboration et cohérence visuelle : un travail d’équipe autour de la colorisation solarpunk
Comment s’est passée la collaboration avec les autres coloristes pour garder une unité visuelle ?
Elsa Chanal : Assez naturellement ! On n’en a pas parlé en amont, Audrey et Laurie ont défini les couleurs de base et j’ai pris le relais pour la colorisation. On s’est tout de suite trouvées sur la même longueur d’onde, ce qui a rendu la collaboration très agréable ^^
Laurie Chesnais : Même si mon rôle était surtout technique plus que créatif, j’ai vraiment aimé contribuer à Skynesis. L’univers solarpunk est incroyablement inspirant, riche et coloré, avec des personnages variés et originaux.
Audrey Loupadière : Je suis aplatiste, les aplats sont une partie plus technique qu’artistique. Hypothétiquement, je pourrais mettre n’importe quelle couleur, et j’aurais quand même fait mon travail. Mais j’ai été formée sur toutes les étapes de création d’une illustration et d’une BD, et je sais l’importance que peu avoir cette étape sur le flow de travail.
Pour la personne en charge de faire les finitions, réajuster les couleurs peut prendre des heures et vous couper dans votre élan quand vous êtes dans un processus créatif. J’essaie donc de faire en sorte qu’il y ait le moins de modifications à faire possible.
Ici j’ai bien observé les illustrations qui avait déjà été faites pour établir une palette la plus détaillée possible. J’ai bien prêté attention au cahier des charges pour chaque zone, et j’ai essayé d’interpréter au mieux les ambiances de chaque île en leur donnant une identité distincte tout en gardant la même palette. Au final, c’est à la coloriste en charge des finitions de choisir les couleurs finales, donc fondamentalement, mes choix n’ont pas vraiment d’importance.
Quand elle fait des modifications, j’en prends note et j’adapte mes choix de couleurs dans les illustrations suivantes. Mais quand je vois que dans le produit final, les couleurs que j’ai choisies ont peu ou pas changé, j’en tire beaucoup de fierté. C’est très valorisant de se dire que mes choix ont une influence sur le rendu final, surtout quand à l’origine, ça n’est pas vraiment le but de ma partie. Et j’aime l’idée que la qualité de mon travail permet de faciliter un peu la partie des autres.

Entre art et technique : les contraintes du format jeu vidéo
Avez-vous dû vous adapter à des contraintes techniques liées au format jeu vidéo ?
Elsa Chanal : Oui, il y en avait quelques-unes qu’on ne rencontre pas en bande dessinée. Notamment le fait de travailler sur des éléments qui seront animés pour les décors. Forcément, ça impacte la colorisation en elle-même parce que chaque élément doit pouvoir se détacher proprement du reste, ce qui complique certains effets qui ne touchent pas tous les éléments de la même manière (comme certaines lumières). Sur une illustration fixe, cela ne poserait aucun souci.
Audrey Loupadière : La contrainte principale est le fait que certaines couleurs ont vraiment un sens précis, mais c’était surtout pour la zone cyberpunk, et une fois que j’avais intégré cette information, j’avais juste à me référer à la petite palette que j’avais faite exprès. Ma partie, c’est essentiellement du travail préparatoire, du coup ça ne changeait pas beaucoup d’autres projets sur lesquels j’avais déjà travaillé.
La couleur comme guide narratif et moteur de la colorisation solarpunk
Avez-vous pensé à la manière dont vos couleurs guideraient la lecture et les choix du joueur ?
Elsa Chanal : Oui, dans une certaine mesure. Mais je pense que le joueur choisira surtout en fonction de l’esthétique et du dessin de chaque zone, selon ses goûts. Mon rôle, c’est avant tout de mettre en valeur les décors et les personnages.
Audrey Loupadière : Tout à fait, les couleurs sont très importantes, car chacune accompagne le trajet du joueur et lui donne des indices sur sa progression. Il était important de garder tout ça en tête afin que l’expérience reste cohérente et intuitive. Le meilleur exemple de ça est le bateau : il est modifié avec des éléments venant de chaque île, et j’ai essayé de faire en sorte qu’on puisse comprendre immédiatement quel élément a été modifié sur quelle île rien que par les couleurs.

Y a-t-il une scène où vos couleurs ont joué un rôle particulier dans la narration ?
Elsa Chanal : Je dirais que c’est le cas tout au long du jeu. Chaque zone a sa propre ambiance et ses spécificités, et la couleur est essentielle pour que le joueur identifie immédiatement l’univers de chaque région.
Audrey Loupadière : Pour moi, la zone cyberpunk est vraiment celle où le choix des couleurs est crucial dans la narration. J’ai essayé de suivre à la lettre le code couleur des métiers qui avait été décidé. Chaque personnage, et même les publicité et les hologrammes, je les ai remplis en me demandant à quel secteur professionnel ça correspondrait le mieux. Si un personnage a plusieurs couleurs, je me demandais quels secteurs je devrais associer pour que le choix des couleurs fasse sens. C’était un peu comme un puzzle.
Et c’est d’autant plus important dans une zone avec autant d’éléments différents, ça donne une cohérence. Grâce à ça, en dépit du fait que c’est une zone extrêmement colorée et pleine d’informations, on n’est pas perdu. Et quand on sait que c’est le point du jeu où le protagoniste commence à trouver sa propre voie, c’est exactement le sentiment qu’on veut créer.

Un monde qui respire grâce à la couleur
À travers le travail d’Elsa, Laurie et Audrey, Skynesis révèle l’importance de la colorisation solarpunk dans la narration interactive. Leur collaboration au sein de MAKMA illustre à quel point les techniques issues de la bande dessinée peuvent enrichir la création vidéoludique.
En alliant rigueur technique et sensibilité artistique, elles ont donné au solarpunk de Skynesis toute sa chaleur, sa cohérence et sa profondeur. Un projet qui prouve que, bien au-delà de l’esthétique, la couleur est une langue à part entière du jeu vidéo narratif.