De la traduction : l’homme qui préférait Serval à Wolverine

Publié le 10 décembre 2014
Intégrale X-Men 1989 (volume 2) : comics traduits par Edmond Tourriol.

 

Il est fan de ServalEdmond Tourriol, après avoir évoqué les origines de MAKMA, revient sur son travail de traducteur de comics. Une activité qui doit beaucoup à sa passion des super-héros. L’auteur, au sein de MAKMA, est à la fois scénariste et traducteur de BD américaines pour Delcourt, Urban Comics, Glénat et bien d’autres éditeurs. On lui doit notamment la traduction des Green Lantern de Geoff Johns, de la Justice League de Jim Lee, du Lobo de Simon Bisley. Il a travaillé sur les meilleures périodes de Spider-Man ou des X-Men (Inferno). Mais c’est surtout le traducteur de la série à succès Walking Dead de Robert Kirkman et Charlie Adlard.

 

Walking Dead a cover

 

Edmond, comment as-tu débuté cette activité de traducteur de comics ?

Edmond Tourriol : J’ai commencé à traduire des comics fin 2001, suite à un concours de circonstances. Un de mes amis dont l’activité principale était de traduire des légendes photo pour une agence de presse, signait aussi des traductions de comics pour les éditions Semic.

Après les événements du 11 septembre, il s’est retrouvé avec un énorme surplus d’activité, dans son agence : des centaines de légendes à traduire, toutes plus horribles les unes que les autres. Il n’avait plus, ni la tête à ça, ni le temps de se consacrer autant à son activité secondaire. Il fallait lever le pied.

Dans le même temps, je côtoyais déjà les responsables de Semic, grâce à ma présence en festivals BD pour vendre mes fanzines de super-héros. On se connaissait. Et lorsqu’il leur a parlé de moi, tout le monde est tombé d’accord pour m’offrir une chance. C’est comme ça que j’ai pu faire un essai concluant sur la série The Creech. Mon boulot de traducteur s’est concrétisé avec un poste régulier sur les séries de l’univers CrossGen.

Tu étais doué en anglais ?

Edmond Tourriol : J’ai appris à lire l’anglais dans les comics. Dès l’âge de 15 ans, j’ai arrêté de lire les comics en français : j’allais les acheter dans une boutique import de Bordeaux. L’anglais c’était vraiment une langue que je pratiquais au quotidien, car je le lisais énormément. Mais même à l’époque, j’avais bien conscience que Serval, ça sonnait mieux que Wolverine !

« Quand j’ai commencé à lire des comics, Serval, il s’appelait Serval. Wolverine, c’est un prénom de fille. »

Tu as réussi à t’adapter facilement à ce métier de traducteur BD ?

Edmond Tourriol : Ce qui est le plus important, quand on est traducteur de comics, ce n’est pas tant de comprendre l’anglais que de comprendre les comics. Il faut avoir la culture du super-héros, la culture pop américaine. La culture geek, même (et pas forcément la culture nerd, comme se méprennent souvent les médias français).

Beaucoup de gens qui ont un diplôme d’anglais essaient de se mettre à la traduction de comics, mais ça ne passe pas. Ils comprennent les mots qui sont prononcés, mais ils ne comprennent pas les références qui sont derrière. J’avais l’avantage de connaitre les deux, ça m’a beaucoup aidé à réussir. Ce n’est pas un diplôme d’anglais qu’il faut pour traduire des histoires de super-héros : c’est un diplôme de comics !

La traduction BD c’est une des principales activités de MAKMA ?

Edmond Tourriol : Pendant longtemps, c’était devenu le cœur de l’activité du studio, véritable agence de traduction de bande dessinée. Aujourd’hui, on collabore avec cinq ou six traducteurs de comics. Et tous ont une double casquette, ils sont à la fois scénaristes et traducteurs, ou bien traducteurs et lettreurs, ou maquettistes…

As-tu des libertés au niveau de la traduction des comics ?

Edmond Tourriol : Ma liberté de traducteur se limite au respect du texte américain. Dans la VF, je dois retransmettre le contenu des informations de la VO. Il faut que le lecteur retrouve les mêmes informations que dans le dialogue américain. Je dois aussi respecter les niveaux de langage.

Après, je suis libre de choisir tel ou tel mot. La langue française est tellement riche qu’il y a mille façons de dire les choses, de nombreux synonymes, de nombreuses manières de s’exprimer. Donc c’est à moi de trouver quelle voix va être utilisée par tel ou tel personnage.

En fait, la traduction de BD, c’est un travail d’interprétation ?

Edmond Tourriol : Le but du jeu, c’est de retranscrire le plus fidèlement possible la pensée de l’auteur américain. Si, en même temps, je peux rendre un dialogue qui va être vivant, qui va donner envie de lire la suite, et qui va être fluide… là, c’est vraiment ma mission.

Ma liberté de traducteur, avant tout, c’est d’être fidèle, mais en même temps d’être capable de donner des dialogues qui ne sont pas forcément de la traduction littérale, mais qui traduisent l’esprit du texte.